Au regard de l’ampleur des projets, on aurait pu s’attendre à un débat conséquent au sein du conseil municipal. En effet, les montants engagés approchent du demi milliard d’euros (426 millions est aujourd’hui le chiffre avancé par la municipalité dans le document présentant la convention locale), les projets vont s’étendre jusqu’en 2031, ces programmes vont entraîner de profondes modifications du tissu urbain.
On aurait même pu attendre de la majorité qu’elle programme un débat spécifique à chacun des deux quartiers “phares” concernés par cette rénovation urbaine, Franc-Moisin et le centre ville, lors de deux séances du conseil municipal, ou qu’elle y consacre un conseil municipal extraordinaire. Pour rappel, un conseil municipal extraordinaire avait été organisé spécifiquement sur les JOP en mai 2021.
Enfin, on aurait pu s’attendre à ce qu’un débat sur de tels projets conduise le Maire à inviter au conseil des associations représentant les habitants comme les conseils citoyens, les commerçants, ainsi que des partenaires comme l’ANRU et leur permette de s’exprimer lors d’une suspension de séance.
Pourtant, rien de tout cela.
D’autant que la municipalité ne saurait se targuer d’une concertation en amont. Les avis des conseils citoyens n’ont pas été retenus, celui du centre ville a exprimé ne pas avoir eu l’ensemble des informations nécessaires en amont du comité de pilotage de finalisation du dossier en mai 2021 quand celui du Franc-Moisin n’y a même pas été convié.
De la même manière, les commerçants n’ont pas eu leur mot à dire sur le déplacement du marché. C’est d’autant plus grave que la première phase de concertation menée depuis 2016 a été rendue caduque par les modifications significatives décidées par la nouvelle majorité. A cet égard, la réunion organisée le 10 décembre 2021 en mairie ne visait qu’à informer les habitants puisque le dossier finalisé était entre les mains de l’ANRU depuis juillet.
En définitive il n’y a pas lieu, si l’on veut bien respecter le sens des mots, de parler de concertation et encore moins co-construction ce qui est pourtant un prérequis des nouveaux programmes de renouvellement urbain (NPRU).
Pire, dans le programme de « Notre Saint-Denis » à aucun moment il n’a été question, concernant le centre ville, de déplacer le marché, de réaménager la place Jean Jaurès, d’en modifier le plan de circulation. Aucun mandat n’a été donné par les dionysiens lors des élections municipales pour réaliser ce qui est annoncé à grand renfort de communication avant tout échange avec les dionysiens ou au sein du conseil municipal.
Beaucoup peuvent être favorables à l’évolution des usages de la place Jean Jaurès (que la présence du marché obère de fait) à l’extension conséquente (ici et là) d’une robuste trame végétale et au développement de mobilités plus apaisées, le tout pour répondre entre autres aux impératifs climatiques.
Mais chacun reste en droit de s’interroger sur ce qui motive non seulement ces choix (qui en excluent d’autres), de les discuter, de confronter les points de vue, mais aussi d’en interroger le rythme, pour ne pas dire la précipitation, les conséquences, les risques même.
Bref, de peser le pour et le contre, publiquement, en toute transparence, d’organiser le débat public, voire de lancer une enquête publique pour un projet d’ampleur.
Un véritable débat public pouvait s’organiser. L’institution existe. Elle porte un nom : La Commission Nationale du Débat Public (CNDP).
Sa mission est claire : « Chacune et chacun a le pouvoir de peser sur les projets et les politiques concernant notre environnement. La Constitution vous reconnaît le droit d’être informés et de participer à ces décisions, et nous en sommes les défenseurs neutres et indépendants. La CNDP est garante de votre droit à participer librement aux débats et à être écoutés des décideurs. Parce que l’environnement appartient à toutes et tous, les bonnes décisions sont celles qui sont partagées. Nous nous engageons à ce que toute personne, toute parole, ait une place égale dans le débat. Nous sommes l’institution publique qui éclaire les décideurs en donnant du pouvoir à votre parole. »
De nombreuses enquêtes publiques ont été lancées sur différents projets d’aménagement urbain. Et pour des projets requérant moins d’argent public que celui que va mobiliser le centre ville à hauteur de 112 millions.
On rétorquera qu’il n’y aurait pas obligation légale à l’organisation d’une enquête publique. C’est juste, mais dans ce cas les professions de foi en faveur de la démocratie participative lors du conseil du 27 janvier sonnent creuses.
Doublement creuses puisque que ce même dispositif a été actionné - on ne citera là qu’un seul exemple, celui d’une ville rassemblant moitié moins d’habitants que Saint-Denis - pour un programme qui ne concerne qu’un quartier et dont les travaux de rénovation s’étalent globalement sur la même période à savoir 10 ans.
Certes, la majorité des édiles de la ville en question ne s’attribuent pas la qualité d’ « hommes et de femmes de progrès », encore moins celle « d’hommes et de femmes de gauche », la ville étant conduite par François Baroin (LR) nouveau président de la banque Barclays France.
Nous sommes donc à Troyes et à notre connaissance nul besoin d’une référence à Jacques Derrida (et à la démocratie participative) n’a été nécessaire pour lancer, dans le cadre du NPRU, une concertation explicite comme ci-dessous.
« La loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 a créé le NPNRU (Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain) et a confié sa mise en œuvre à l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU).
Ce programme vise à requalifier durablement, d’ici à 2030, 450 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) en priorisant ceux dont les dysfonctionnements urbains sont les plus importants.
Complétant les objectifs définis dans le Contrat de ville d’agglomération, le NPNRU concerne sur le territoire de Troyes Champagne Métropole le quartier d’intérêt national Jules Guesde à Troyes.
Conformément à l’article L.103-2, du Code de l’Urbanisme, Troyes Champagne Métropole a délibéré le 8 avril 2021 sur le lancement d’une phase de concertation préalable, s’inscrivant dans une démarche globale de participation pendant toute la durée du projet.
Cette concertation prévue sur 2 mois vise à recueillir l’avis des habitants sur le projet, sur la base des premières études réalisées à ce stade. L’objectif est d’enrichir le projet urbain afin de conforter les objectifs de requalification de ce quartier, prévue sur 10 ans. »
Élu en juin 2020, la municipalité conduite par Mathieu Hanotin, maire-président, a eu tout le temps, même sous la contrainte du Covid (preuve en est des enquêtes publiques qui ont quand même été menées ici ou là sur le territoire), de consacrer deux mois à la concertation pour un projet substantiellement modifié et incluant dans son périmètre la place Jean Jaurès. Et ce n’est pas la boite à idées lancée aujourd’hui qui peut en tenir lieu.
C’est sans doute ce qui avait motivé la remarque de l’ancienne sous-préfète relevée dans un précédent article de ce blog : « Il est pertinent d’intervenir sur les espaces publics mais conseillé de mettre de côté la place Jean Jaurès afin d’éviter de laisser croire que l’on déguise la place centrale de la ville via l’ANRU. Il faut accompagner ce travail d’un argumentaire sur les aspects économiques, pour expliquer pourquoi ce projet est aussi atypique. Tout le monde converge dans ce lieu, même les habitants des autres quartiers du territoire car c’est là où les choses se passent. Ce n’est pas un dossier comme les autres. »
Un dossier « pas comme les autres » et encore moins de concertation. Etrange.
Alors pourquoi au conseil du 27 janvier faire parler les morts (Jacques Derrida) et ne pas s’être donné les moyens d’entendre les vivants ?
L’avenir, tout en épousant le temps long de l’ANRU, se résumerait pour la majorité en deux dates cruciales : 2024, les JOP. 2026, les élections. Tout en visant plus loin en installant l’idée de la durée : 2028, Capitale européenne de la Culture.
Il faut donc, politiquement du point de vue du Maire, aller vite et viser loin. Et ne pas s’encombrer de concertation qui retarderait son objectif : marquer la ville, d’ici 2026, de son empreinte.
Mathieu Hanotin et sa majorité ont donc voté comme un seul homme, en homme pressé…
Pour les JOP, les jeux sont faits. Les épreuves phares ou d’autres de moindre envergure migrent de semaine en semaine loin de la ville, du territoire, du département.
Concernant le centre-ville, l’équipe en place ne va-t-elle pas devoir répondre, malgré son empressement et l’absence de réelle concertation, à des obligations et à des éléments qui nécessitent un peu de temps :
– un permis d’aménagement nécessaire (création ou modification d’une voie existante dans le périmètre de sites patrimoniaux remarquables et aux abords d’un monument historique)
– un nouveau plan de circulation à valider et les moyens afférents
– le respect du calendrier opérationnel des opérations contractualisées concourant à la mise en œuvre du projet déclenchant les financements de l’ANRU
– la nature des avenants éventuels aux conventions adoptées par le conseil de territoire en décembre 2021 et au conseil municipal en janvier 2022 en particulier au regard de projets de résidentialisation impactant les charges des locataires
– les possibles recours sur différents sujets
Beaucoup de questions restent donc en suspens même si la délibération adoptée le 27 janvier permet au Maire-Président de signer la convention avec l’ANRU.
N’est-il pas temps de hiérarchiser les interventions en fonction des besoins : priorité à la rénovation du bâti et des logements de la ZAC Basilique, priorité à la rénovation des espaces publics des îlots, priorité à la végétalisation des espaces extérieurs, dalles et terrasses de l’îlot 8, replantation, entre autres, du vaste espace de l’îlot 4 … ou priorité à la place Jean Jaurès, au miroir d’eau, à la reprise des revêtements de sol de la même place…
Sans engager une véritable concertation sur l’avenir de la place Jean Jaurès, sur l’avenir du marché, la halle, ses pourtours, sa dimension, la refonte des espaces publics… la municipalité a retenu un projet dont la promotion est assurée aujourd’hui sous le vocable d’exposition du 28 mars au 6 mai composée de… quatre kakémonos dans le hall de l’hôtel de ville ! Le tout 5 jours avant la nouvelle réunion publique annoncée pour le 2 avril !
Quatre kakémonos pour un projet autour de 112 millions d’euros ! A un jour près c’était un poisson d’avril !
On pouvait s’attendre à une maquette en volume, à défaut à une animation 3D, et bien non.
Soulignons donc déjà quelques points, loin d’être anodins et sur lesquels nous reviendrons. En bloc et en détail.
Qu’en sera-t-il, avec le projet que la municipalité souhaite imposer, de ce centre ville revisité ?
De son accès pour tous, des mobilités, de l’ampleur de la végétalisation, de son offre culturelle, des attendus en matière de sécurité, de ses aspects patrimoniaux et paysagers, de sa composition sociale, en somme de tout ce qui fait identité…