15 mai 2024. Après des arrêtés de « mise en demeure de quitter les lieux » signés du maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin, en date du 10 mai délivrés par la police municipale le 12 mai en fin de matinée à des familles Rroms occupant deux campements, au nord du 6B, leur expulsion démarrait dès 7 h du matin.
Elles étaient installées sur deux terrains, l’un appartenant à la ville de Paris, l’autre au département de la Seine-Saint-Denis. Les enfants présents et en âge de l’être, sur ces deux campement étaient majoritairement scolarisés soit en primaire, soit au collège à Saint-Denis, Pierrefitte et Villeneuve La Garenne, ou en formation selon l’âge ou pour certains d’entre eux bénéficiaient d’activités éducatives.
Les occupants du terrain propriété de la ville de Paris avaient fait l’objet d’une demande d’expulsion de la part de la ville de Paris mais cette demande avait été déboutée par le Tribunal administratif de Montreuil en date du 11 avril 2024.
Les occupants du terrain propriété du département de la Seine Saint-Denis avaient eux obtenu un délai de 5 mois accordé par le tribunal judiciaire de Bobigny, le 27 février 2024, courant jusqu’au 27 juillet, (se décomposant en deux délais de 2 et 3 mois).
17 mai 2024. Après la suspension de l’arrêté d’expulsion concernant un terrain appartenant au département de la Seine-Saint-Denis, le tribunal administratif de Montreuil suspend l’arrêté concernant le terrain appartenant à la ville de Paris. La ville de Saint-Denis et les propriétaires des terrains ont jusqu’au 22 mai à minuit pour réexaminer la situation et « restituer dans leurs droits fondamentaux » les familles qui en ont été privés par cette expulsion.
22 mai 2024. Une réunion regroupant les villes de Paris et Saint-Denis, le département du 93 et les services de l’Etat se tient le 22 mai au matin. Cette réunion ne conduit qu’au rappel de propositions initiales d’hébergement pour un nombre extrêmement limité de personnes et uniquement pour 48 h.
« Comment justifier que trois collectivités, outre les moyens conséquents dont elles disposent, dirigées par des représentants politiques se réclamant de combats progressistes, de valeurs universelles, peuvent détourner le regard ; renoncer à des valeurs élémentaires d’assistance à des personnes discriminées sur notre sol, en Europe ?
Comment justifier de ne pas consacrer des moyens, en exigeant que l’Etat contribue pour une douzaine de familles. Des associations, adossées aux collectivités, savent faire. Elles l’ont déjà prouvé par le passé à Saint-Denis. » écrivions-nous sur ce Blog suite à cette rencontre.
Dans la même séquence, trois jours après l’expulsion, la ville accueillait le 18 mai sur le parvis de la Basilique, la traditionnelle « Fête de l’insurrection gitane » tout en restant sourde et inflexible, après les expulsions, à la détresse des familles, détresse exprimée avec une grande dignité ce jour-là par trois mères de ces familles sur la tribune. Même surdité et mutisme à la main tendue par l’association La voix des Rroms, organisatrice de l’événement, pour co-construire la solution ordonnée par la justice.
Comment ne pas voir dans cet "en même temps" une immense hypocrisie ? Nous posions la question à ce moment-là. La réponse nous a été donnée depuis.
Ces dix derniers mois malgré les demandes, les tentatives en direction de la municipalité de régler dignement et durablement la situation d’une dizaine de familles, malgré l’accompagnement et le diagnostic social réalisé par l’association La voix des Rroms, la municipalité a joué la montre, le pourrissement de la situation pour les familles réfugiées sur une partie du parking du 6 b dans un premier temps et aujourd’hui sur un terrain face au canal dans le quartier Confluence.
Si la ville de Paris a, de son côté, relogé durablement des personnes à l’hôtel, la municipalité de Saint-Denis et le département du 93 n’ont pour la première ni appliqué le droit (les décisions de justice) ni toutes deux, en tant que collectivités, assumé leur responsabilités (compétences en matière sociale, enfance et santé).
Pas un mot, pas un geste non plus des conseillers départementaux du canton Corentin Duprey (co-président du groupe de la majorité municipale dionysienne) et Oriane Filhol (cette dernière pourtant en charge à Saint-Denis des Solidarités et de l’accès au droit et au département à la lutte contre les discriminations). Ils présentent tous deux actuellement leur bilan. Leur silence, leur inaction sur le sujet en fait partie.
A défaut d’un accompagnement social des services de la ville de Saint-Denis, le seul service auquel les familles ont eu à faire est celui de la police municipale. S’il faut s’en tenir aux faits, c’est un simple et terrible constat.
19 juillet 2024. C’est le jour des derniers échanges initiés par l’association La voix des Rroms lors d’une réunion, en présence d’un représentant du 6b, avec la municipalité celle-ci faisant mine de vouloir trouver une issue. Cela s’est révélé un leurre, une manœuvre dilatoire suivie d’un silence total et de l’inaction comme stratégie. La stratégie du pourrissement et du mépris des familles et des décisions de justice.
Depuis, l’été, l’automne ont passé. Des familles sont parties poursuivant ailleurs leur errance. Les familles, moins de dix, ont connu un hiver pluvieux et certains jours très rigoureux. Les enfants ont poursuivi leur scolarisation. Les fumées des poêles indispensables à la survie de ceux qui sont restés les ont affectés au premier chef, incommodant certains riverains.
Mais qui en porte la responsabilité depuis le 22 mai, date butoir des injonctions du tribunal à reconsidérer la situation des familles ?
Les décisions de justice sont traités avec deux poids, deux mesures. A titre d’exemple, la municipalité ne se dérobera pas au paiement au groupe Bolloré des pénalités (plus de 126 500 euros selon Le Parisien) que la justice a ordonné dans le conflit opposant le groupe industriel et le syndicat Syndicat Autolib’ Velib’ Metropole (SAVM), auquel elle est adhérente, et qui envisage un pourvoi en cassation. En tout état de cause elle s’inclinera devant la décision du tribunal d’autant que le pourvoi en cassation n’est pas suspensif.
Le respect de l’Etat de droit est ainsi à géométrie variable pour la municipalité. Faible avec les forts, fort avec les faibles, force est donc de le constater. L’avocat, conseil des familles, a lancé une procédure pour non-exécution des décisions de justice. Cela prendra plusieurs mois pour que le tribunal rende sa décision.
Face à l’inaction de la puissance publique, ce n’est que sur la solidarité des Dionysien.nes que les familles ont trouvé appui et réconfort depuis le 15 mai 2024.
Camo, Elvire et Flore, trois dionysiennes que nous avons interrogées témoignent du travail menées par elle-mêmes et d’autres bénévoles pour soutenir et accompagner les familles, nous leur donnons la parole pour conclure cet article.
« Depuis l’expulsion des Platz (c’est ainsi que les roms nomment les terrains ou espaces qu’ils occupent. NDLR) le long de la Seine en mai 2024, il y a eu une mobilisation spontanée d’habitant.e.s de Saint-Denis et de personnes en lien avec les enfants (via les écoles ou les associations) pour réfléchir collectivement aux formes de soutiens possibles. Il y a notamment eu des moments de rassemblements avec les familles, la confection de crêpes et de repas, une projection de films en soutien s’est tenue au KaleBeBeat, lieu situé au bord du canal de Saint-Denis, des collectes et distributions de nourriture et de vêtements également, des vacances organisées pour les enfants autant qu’il était possible.
Des ateliers se sont aussi tenus tous les mercredis après-midi. Tout cela s’est fait en lien avec l’association La voix des Rroms et Les planches courbes du chapiteau Rajganawak.
Pour cela, nous nous sommes appuyées sur nos diverses expériences de travail et d’engagement précédents dans des lieux ou dans des collectifs et sur la volonté d’une solidarité des habitants qui se soucient de leurs voisins. Il existe déjà, à Saint-Denis, d’importants réseaux d’entraide qui ont l’habitude de se mobiliser dans ce genre de situations. Malheureusement, et au vu de la multiplications des luttes à échelle locale et nationale, tout le monde court un peu partout et nous ressentons une forme d’essoufflement.
D’autant, il faut le rappeler, de plus en plus, à Saint-Denis comme ailleurs, ce sont des collectifs spontanés ou des petites associations qui se retrouvent à prendre en charge, bénévolement, des missions qui dépendent normalement des municipalités ou de l’Etat. Et ce, dans un contexte toujours plus présent où l’on maintient les gens dans la précarité ou on la génère là où il n’y en avait pas auparavant.
Pour ce qui concerne particulièrement les familles Rroms du Platz des abeilles (l’endroit qu’elles occupent aujourd’hui le long du canal près de ruches. NDLR), ces familles n’ont vu, à ce jour, aucune solution pérenne leur être proposée et ce malgré des victoires en justice et des enfants scolarisés dans la ville. Cela fait presque un an que la mairie refuse de prendre ses responsabilités et il est très dur de se projeter, pour les familles comme pour leurs soutiens. Nous avons un sentiment de forte inertie alors même qu’il s’agit d’une situation d’urgence pour des familles, femmes et enfants, qui vont probablement être de nouveau expulsées d’ici l’été. Ces familles vont donc rester sur la commune mais dans des conditions toujours plus incertaines et exposées aux expulsions. Nous espérons des réponses et continuerons à soutenir, à notre échelle, les familles et leurs revendications ».
Voila l’état des lieux, ou dit autrement ce qui s’est passé depuis le 15 mai 2024. Ce qui a été fait par les uns et l’inaction des autres. De son côté, La voix des Rroms s’adresse à l’ensemble des habitants du quartier Confluence avec une lettre ouverte en date du 17 mars 2025. Elle est consultable ci-dessous.
