Le vrai faux courrier de Mathieu Hanotin en réponse à la lettre d’Ariane Mnouchkine à propos de l’avenir de Jolie Môme et de la Belle Étoile.

, par François Ubu

Chère Ariane Mnouchkine, J’ai répondu à votre lettre l’année dernière. La relisant je suis pris de remords car voyez vous, chère Ariane, j’ai décidé le soir du 31 décembre 2023 de prendre de bonnes résolutions pour l’année 2024. La première de ces résolutions, c’est dorénavant de dire la vérité, en tout cas m’efforcer de ne pas la travestir soit en disant n’importe quoi, soit en masquant des faits essentiels, soit en caricaturant à outrance. Ce n’est pas rien comme résolution.

Je pars de loin et je connais mes limites.
Je suis capable de faire tout le contraire de ce que je suis en train de vous dire. Vous voyez je commence vraiment à dire la vérité.

Vous connaissez la formule : « Plus c’est gros, plus ça passe ». Dans ma réponse à votre lettre, j’en ai abusée. N’en tenez pas compte, c’était en 2023. Donc direction poubelle.

En revanche, comme je vous le disais – et là je dois reconnaitre que c’était vrai –, je ne doutais pas que vos interrogations « étaient surtout liées au fait que vous n’ayez pas toutes les informations en votre possession ».

Je vais donc, avec le nouvel esprit qui m’anime en ce début d’année 2024, réparer ce manque.

Depuis que je suis arrivé aux affaires, je suis plus que respectueux de la loi, contrairement à mes prédécesseurs qui, chacun le sait, dorment en prison après avoir été lourdement condamnés par les tribunaux. Il se dit d’ailleurs, que grâce à des manœuvres plus que douteuses, soudoyant la justice, ils ont échappé de peu aux travaux forcés. Ça c’est pour le n’importe quoi, c’est trop énorme, ça ne passe pas. Je retire.

Appréciez donc mon réalisme. Et mon sens de l’à-propos : je penche plutôt pour l’effet pervers d’une justice qui, comme le dirait une de mes adjointes, « ne suit pas », version soft de ceux qui la disent laxiste.

Parler justice et lois, sujet sur lequel je cherche noise à mes prédécesseurs à propos d’éléments dont l’interprétation est tout à fait contestable en droit et qui d’ailleurs n’ont jamais fait l’objet de procédures judiciaires, est périlleux vu mes résolutions du 31 décembre pour 2024. Dire la vérité, m’amène donc à vous confier, chère Ariane, que de mon côté j’ai pris quelques libertés en matière de procédure d’urbanisme lors de divers travaux. Ici c’est un tribunal qui me fait savoir que ça ne va pas du tout, et là c’est le sous-préfet qui rappelle qu’en matière de patrimoine on ne fait pas plus selon son humeur.
Vous voyez Ariane, je tiens mes résolutions. Moi, qui ne cesse d’en appeler à la loi, à la République, comme je l’ai fait dans ma missive de 2023 à votre intention, je vous dit tout.

Ce n’est pas rien de tout dire. Tenez au passage, il faut que je confesse qu’un arrêté municipal que j’avais pris, il y plus de trois ans, deux mois après mon élection, vient d’être considéré comme abusif par un tribunal administratif.Il aura fallu trois ans pour que la justice considère « qu’il n’existait aucun élément de nature à établir l’existence de troubles du fait de l’usage du narguilé ».

Oui, Ariane, vous lisez bien, il m’était venu à l’esprit, il m’était apparu opportun, d’interdire de fumer le narguilé, autrement dénommé la chicha, dans les parcs, les espaces verts et certains axes, ainsi qu’à proximité des bâtiments publics de la ville.

J’avais même, un temps, envisager d’interdire les tapis volants anticipant le choix de la capitale d’interdire les taxis volants pendant les JO, c’est dire, sans fausse modestie, mon sens de l’anticipation. C’est là que mon directeur de cabinet, l’ancien, pas l’actuel, a calmé mes ardeurs, je dirais même mes fulgurances. C’est vrai que j’ai tendance à exagérer. Mais je vous en dit déjà trop.

Chère Ariane, sachez qu’en matière de culture, puisque c’est de cela qu’il s’agit dans nos échanges, j’en connais un rayon. S’il ne tenait qu’à moi, nous serions déjà Capitale mondiale de la culture.

Tenez, par exemple, vous me permettrez de parler d’abord cinéma, sans offense à la femme de théâtre que vous êtes.

Comme je l’indiquais dans mon courrier de 2023, la fréquentation du cinéma L’Ecran a progressé depuis que celui-ci est devenu municipal. C’est clairement ce que je suggère dans mon courrier. Résumons : j’anticipe, c’est mon côté visionnaire, mais de plus j’agis et, cerise sur le gâteau, avec célérité.

En effet, admirez la séquence, le 8 juin 2023 en conseil municipal, je fais adopter par ma majorité la municipalisation du cinéma L’Ecran, et bien quatre mois plus tard, et malgré une fermeture une bonne partie de l’été, je peux affirmer haut et fort que grâce à cela – grâce à moi en fait (CQFD) – la fréquentation du cinéma a augmenté. Chapeau. N’en jetez plus. Merci.

Ça a du en boucher un coin à de nombreux directrices-directeurs, programmateurs, programmatrices de France et de Navarre qui s’escriment à remplir des salles de cinéma avec des recettes du passé pour attirer le spectateur.

Bon c’est vrai, j’occulte le fait – essentiel –que la fréquentation des salles a bondi en France cette année de 19% en un an par rapport à 2022. Et de 59 % par rapport à 2021.
Que c’est en France que la reprise de fréquentation des salles après la période du Covid est la plus dynamique en Europe.
Je fais même le tour de force de passer sous silence que les résultats de l’Ecran sont même meilleurs que la tendance nationale et au lieu de souligner que cette dynamique existe depuis le début de l’année 2022 – et non depuis le 9 juin 2023 au matin –et d’en rendre grâce à l’équipe qui l’anime, non, je m’attribue, sans vergogne, la performance.

Mais chère Ariane, tenez-vous bien, je n’ai pas encore utilisé ma botte secrète pour booster la fréquentation des salles : la publicité. Dimension novatrice que j’ai introduite dans le cahier des charges de ma fameuse délégation de service public.

Et oui, savez-vous que la publicité concourt à vous mettre dans l’ambiance avant le film. Je l’ai tout de go déclaré lors de ce conseil municipal historique du 8 juin 2023.
Je vois là aussi que « vous n’avez pas toutes les informations en votre possession ». Rendez-vous compte, rappelez-vous chère Ariane, un Claude Sautet, un Wim Wenders, un Federico Fellini… plus récemment, un Justine Triet, un Ruben Östlund, un Julia Ducournau sans séquence publicitaire ? Que d’ennui.

Et le théâtre, chère Ariane. Ah, le théâtre…

Avez-vous tenter d’introduire, à titre de geste disruptif, avant une de vos pièces, quelques saynètes vantant parfums délicats, smartphone dernier cri ou véhicule hybride ? Ne serait-ce pas là matière à contribuer à capter l’imaginaire du public, à rendre au spectacle vivant, en guise de préliminaire, tout son potentiel ?

Libre à vous chère Ariane de faire comme vous l’entendez sur les planches quant à moi
ma conviction est faite et résumée dans un article de Libération : « Le théâtre ne doit pas devenir un théâtre uniquement pour un groupe de personnes anarchosyndicalistes »

Et toc. Appréciez mon sens de la formule. Une punchline toute en finesse. Au diable la nuance. Un bon jeu de jambes. Une bonne droite. Wauquiez, Ciotti, Retailleau réunis et sur le cul.

Et oui, chère Ariane, je cogne dur, tout en maintenant, comme je vous l’écrivais « un haut niveau d’exigence et de subventions pour que la culture soit un des ferments de notre ville populaire ». Un ferment, Ariane.

Un dernier mot et une petite confidence, n’en dites rien : je vise la médaille Fields. Le rapprochement de deux chiffres dans mon courrier de 2023, celui de 50 % soit l’augmentation envisagée des effectifs fréquentant le conservatoire et celui de 4% censé représenter celui des jeunes de notre ville qui y sont accueillis est là pour frapper les esprits. Mathématiquement, à l’achèvement des travaux, ceux-ci débutant en 2024 cela revient à atteindre le chiffre de … Combien chère Ariane ?

Frapper les esprits, dont le votre, est aussi une façon de dissimuler aux lecteurs de l’Obs mon abandon, dès mon arrivée en 2020, d’un équipement culturel conçu, programmé, financé, qui serait aujourd’hui en fonction, au profit d’un hôtel de police municipale.

Chère Ariane, je crois là vous avoir tout dit. Non en fait.

Je dois ajouter qu’un de vos propos m’a plu. Dire que « le radicalisme entêté de Jolie Môme peut-être exaspérant » m’a mis en joie mais m’a immédiatement plongé dans un abime de questionnements.

La presse note – pas toute – que face à la marée montante raciste et d’extrême droite, la jeunesse, entre autres, ne rechigne pas à faire valoir une certaine radicalité. Un entêtement même à s’opposer. Qu’a-t-on surtout à craindre aujourd’hui, un « radicalisme entêté » ou ce « vent mauvais qui se lève de partout et sent la mort » ?

Et puis Ariane, comment faites-vous pour défendre vos convictions en ne reniant rien de vos valeurs et cela sans outrance et avec franchise ?

J’en suis tout tourneboulé. Du coup, 2023 et 2024 se confondent, je ne sais plus où j’en suis. Ce que je suis. Qui je suis. Voire si je suis ? To be or not to be en quelque sorte, voyez-vous ce que je veux dire Ariane ?

Trêve donc de questionnements, regrets, remords et bonnes résolutions. Au diable les faits, l’Histoire, Macbeth, Hamlet et la médaille Fields.

Bonne année chère Ariane, et vivent les Jeux Olympiques, le roi d’Angleterre, la France, la République et… moi.

Rideau.

Pour copie conforme, je, moi, soussigné, Mathieu.

PS : J’oubliais, pour votre unique demande, dans votre lettre, d’un délai pour que la compagnie Jolie Môme puisse finir sa saison, vous avez remarqué que j’évite de répondre. J’ai l’habitude de rester sourd aux demandes. Même aux milliers de pétitionnaires qui réclament le maintien d’un service public de transport pour accéder et sortir du centre ville de Saint-Denis. Entêté ? Moi ? Jamais.
La preuve mon invitation. Je rêve déjà d’une photo avec vous largement diffusée sur les réseaux.
Quelle astucieuse manière de redorer mon blason ! Allez Ariane, pour le théâtre… pour la culture…