Prox’aventure 4- Déconstruire Prox’aventure : l’enfant, le citoyen et la force publique

, par Jacques

Une association financée par des marchands d’armes qui fait l’éloge de la violence policière au sein même des écoles, des élus et des institutions étatiques qui la soutiennent et la promeuvent, le tout estampillé « Journée citoyenne »… cela nous amène forcément à interroger le rôle de la police dans une démocratie.

Prox’aventure : la citoyenneté à coups de matraque, en 4 volets.
Déjà parus :
1- Raid aventure, la violence en service commandé
2- Les élus locaux à la manoeuvre
3- La conception d’une police violente par nature

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

Face à une association qui relaie le discours du pouvoir politique en confondant le rôle de la police et l’un de ses moyens d’action (le plus extrême et celui qui devrait être le plus marginal, à savoir l’exercice de la violence), il semble nécessaire de se référer à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. D’abord, parce que l’action du « dispositif Prox » est affichée comme « citoyenne ». Les élus de Saint-Denis et de Paris ne savent que rétorquer aux critiques, comme des perroquets reprenant la communication de Prox’aventure : « C’est une action citoyenne ! » C’est citoyen, circulez, il n’y a rien à voir. Mais il faudrait qu’on nous explique en quoi le menottage, le tir, le matraquage ont un rapport avec la citoyenneté.

La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789

Selon la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, préambule de notre constitution, que nos élus devraient relire, le citoyen est caractérisé par :

  • son rôle politique dans la République, son rôle dans l’organisation de la société, puisqu’il fait partie du « peuple souverain » ; rien sur le menottage...
  • sa liberté d’opinion et d’expression, sans lesquelles ce rôle politique ne peut être exercé ; rien sur le matraquage...
  • sa participation aux finances publiques selon ses moyens, qui permettent à la République de fonctionner ; l’apprentissage du tir n’est pas mentionné...

A la lumière de la Déclaration, revenons sur la chasse aux lycéens dans les rues de la ville [1]. À quel moment s’est fait l’apprentissage de la citoyenneté par ces jeunes de nos quartiers : lorsqu’ils se mobilisaient pour participer au débat public – avec une poubelle en victime collatérale, il est vrai –, ou lorsqu’ils se sont fait matraquer et gazer ? Selon Prox’aventure et ceux qui la promeuvent, il semble que ce soit lors de la phase répressive. Si en amont, à l’école, on leur avait enseigné la manière de se soumettre à une interpellation, plutôt que les idées farfelues de philosophes morts depuis des lustres et ayant causé des désordres révolutionnaires autrement plus importants qu’un feu de poubelle [2], nos jeunes en seraient sortis peut-être un peu moins contusionnés et l’école n’aurait pas été gazée. D’ailleurs, il n’y aurait pas eu de mobilisation, et nous vivrions dans une dictature.

Matraque et citoyenneté selon Prox’aventure

Évidemment, la lecture de ce texte fondateur pose de cruelles questions au regard du fonctionnement de notre société, où les plus riches qui décident de notre destin payent le moins d’impôts, où les médias garants de la liberté d’opinion et d’expression appartiennent à ces mêmes milliardaires, et où une caste de politiciens se gavent de nos impôts et décident à la place du peuple souverain – voire sont au service direct des milliardaires déjà évoqués…

À Saint-Denis existait une curiosité locale : Le Journal de Saint-Denis, avec une rédaction indépendante mais financé par une subvention municipale. Ce journal évoquait les luttes locales, y compris contre la mairie, et parlait aussi des violences dont étaient victimes les habitants [3]. Le maire, M. Hanotin, qui n’a jamais cru bon d’exprimer son soutien à ses administrés violentés, fera taire définitivement ce journal trop indépendant en lui coupant sa subvention (avant de le transformer en feuille de chou paramunicipale à sa gloire). M. Hanotin, qui souhaite enseigner la citoyenneté à nos enfants à coups de matraques, n’aime pas trop la presse indépendante. C’est cette dernière pourtant qui est une condition d’existence et d’exercice de la citoyenneté.

Le peuple « souverain » n’a plus comme seul droit que voter de temps à temps pour Bonnet blanc ou Blanc bonnet (surtout pas Bonnet noir ou Bonnet rouge, ils sont méchants), et on lui concède un budget participatif pour planter des tulipes au pieds des arbres – pour les décisions importantes c’est sans lui.
Cela explique peut-être pourquoi la seule alternative qui reste à nos gouvernants est de nous convaincre que la citoyenneté se résume à l’apprentissage par nos enfants des « gestes techniques des policiers ». Un bon citoyen est un citoyen soumis. Au niveau de l’État, le pouvoir tente de plier l’institution policière à son seul bénéfice ; au niveau local, les édiles créent de toute pièce une « police » à leurs ordres avec les impôts des citoyens.

Quelle police citoyenne ?

La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen fait référence à la police, une police qui est nommée « force publique », et dont le rôle est de garantir l’effectivité de ces droits, si besoin par la force. Car les droits ne valent que si la société peut les faire respecter. La force légitime n’a donc rien à voir avec le fait de violenter les citoyens pour le compte des oligarques. Là encore, quand on constate le dévoiement de l’institution policière au service d’une caste dirigeante qui n’a rien de démocratique, il serait pertinent de s’interroger sur notre rapport à la réalité, et la signification des mots dont se gargarisent ceux qui les vident de leur sens.

Et trop rares, ou peut-être juste trop invisibles, sont les policiers qui vont à contre-sens de leur institution, serait-ce en tentant simplement d’accomplir leur travail quotidien sans avoir à en trop rougir. Comment les syndicats de policiers peuvent-ils ignorer l’inévitable souffrance causée par cette injonction paradoxale : chargés en République de protéger les droits de leurs concitoyens, les policiers se retrouvent à les briser au service particulier d’élites qui les méprisent… Quelle valeur ont nos textes fondateurs ? Dans quel régime vivons-nous ?

Les parents contre la violence à l’école

Présenter une police républicaine aux enfants citoyens

Même si ces « dérives » sont systémiques, même dans un contexte de violences policières de plus en plus massives, la police ce n’est heureusement pas que cela. L’essentiel du travail d’un policier, ce n’est pas d’utiliser les armes à sa disposition contre la population environnante. Et il ne manque pas de pistes pour présenter aux enfants ce qu’est une police républicaine :

  • La sécurité routière, la route cause 3 fois plus de morts que les homicides ;
  • Qu’est-ce que le travail d’enquête, et comment se déroule-t-il ? Une victime vient déposer une plainte au commissariat, quel est le travail des policiers ? Pas de sortir avec leurs matraques pour cogner tout ce qui bouge…
  • A Saint-Denis, nous accueillons le laboratoire de la police scientifique : qui y travaille, comment cela fonctionne-t-il ?
  • Les délits financiers sont aujourd’hui monnaie courante : comment œuvre la brigade financière, avec quels moyens, contre ces délinquants qui sapent les fondements même de la République ?
  • Nous connaissons bien, à Saint-Denis, le harcèlement quotidien et inutile des petits dealers par les policiers, qui donne de la police une image dangereuse, celle de l’impuissance. Celle d’une bande en affrontant une autre, violente avec les plus faibles tandis que les « gros » restent intouchables. Alors, comment sont démantelés les réseaux ? Comment sont traqués les milliardaires à leur tête ? Les circuits de l’argent sale de la drogue qui s’intègrent aux circuits financiers ?

Déconstruire les stéréotypes, ce serait travailler à répondre à ces questions ; légitimer la violence policière comme principal moyen d’action des forces de l’ordre ne peut que conforter les stéréotypes. Nous voyons mal cependant, dans le contexte social actuel, comment il serait possible de ne pas aborder avec les enfants, dans une école qui forme des citoyens, la question des violences policières et des moyens d’y remédier, mais aussi de la frontière entre violence légitime et illégitime.

Mobilisation, éducation, santé... Une autre approche de la citoyenneté...

Debout les enfants citoyens !

En l’absence de toute référence à ce qu’est la citoyenneté au sens de la Déclaration universelle de 1789, l’enfant doit comprendre qu’être un bon citoyen, c’est faire partie de la bande de ceux qui tapent. Et ceux qui tapent ont toujours raison, le monopole légitime de la violence par la police s’étant transformé en légitimation de toutes les violences. Pourtant, si aucune violence exercée par la police ne peut être mise en cause, cela sape directement la légitimité du monopole qu’elle exerce, et donc les fondements d’une société démocratique.

C’est à cela que l’on assiste aujourd’hui, avec un pouvoir qui n’a plus que la force pour s’imposer : tant que cette force s’exerçait uniquement sur les couches populaires et dans nos quartiers, cela ne posait guère de problème au reste de la société ; puis elle s’est exercée sur les classes populaires « périphériques », victimes des mêmes maux mais qui jusque-là se croyaient traitées avec plus d’égards : elles se sont soulevées avec les Gilets jaunes, ont vécu une violence inédite ; maintenant que la force brutale s’exerce sur les classes moyennes des centre-villes [4] qui faisaient partie des privilégiés et préféraient ignorer la violence exercée sur leurs voisins des « quartiers » et de la France périphérique, elle accède à une reconnaissance publique, médiatique ; et la société entière comprend que le pouvoir bascule.
Car être un « mauvais citoyen », dans la perspective Prox’aventure, tend à se généraliser : c’est faire partie de la bande de ceux qui se font taper, de la bande de ceux que le Président désigne comme tels – depuis le 4 janvier 2022 le Président peut se permettre de décréter qui n’est pas citoyen dans sa république bananière.

Et pour conclure la « Journée sportive et citoyenne » à destination des collégiens, voici un atelier de recrutement, afin de présenter aux enfants les voies d’accès à la carrière, pour que la prochaine génération de policiers issue des classes populaires soit prête à taper sur la bande d’en face (les mêmes classes populaires). C’est toute une vision du monde et des rapports sociaux, complètement antirépublicaine, basés sur la force et l’ignorance, que contribue à alimenter Prox’aventure. C’est une vision contre laquelle il faut lutter en tant que citoyen, pour défendre nos valeurs qui sont en train de se faire broyer par l’ordre libéral macroniste.
Cependant, dans le cadre de l’école de nos enfants, censée former les citoyens, c’est pire encore : cela devient tout à fait intolérable. Et nous, habitants des « quartiers », ne le tolérerons pas.